Le 15 juin 2024 une nouvelle modification du dispositif aujourd’hui nommé « MonSoutienPsy » m’amène à rédiger cet article pour expliquer la raison de la poursuite de mon boycott, malgré des ajustements que j’ai envie de nommer « maquillages » ou pour reprendre une expression d’Emmanuel Macron de « poudre de perlimpinpin ».
MODIFICATIONS RÉCENTES
Le 30 janvier 2024, Gabriel Attal, Premier Ministre à l’époque, reconnaissait la nécessaire refonte de « fond en comble » du dispositif, faisant suite au boycott massif de la profession (seuls 7% des psychologues ayant adhéré). Il reconnaissait alors l’échec, difficilement contestable au demeurant.
Deux options se présentent alors :
- la consolidation du dispositif,
- ou l’abrogation pure et simple de ce dispositif accompagnée d’un redéploiement des moyens.
Cette seconde option n’est pas retenue.
La fameuse refonte de « fond en comble » a consisté à des ajustements :
- passage de 8 à 12 séances par an
- tarif de 30 à 50 euros (sans dépassement d’honoraires possible)
- suppression de la prescription médicale.
Ces révisions ne font que cacher le fond du problème : un dispositif conçu avec des psychologues perçus comme des auxiliaires médicaux qui, selon le délégué ministériel à la santé mentale « ne demande pas un haut niveau de compétences ». Il s’agit d’une étape vers la paramédicalisation d’une profession qui appartient pourtant au champ des sciences humaines. Ceci impliquant, pour les psychologues qui acceptent ce conventionnement, « l’acceptation de modalités thérapeutiques compatibles avec celles des autres professions de santé ».
Quel regard les politiques portent sur la profession de psychologue? Quel est ce degré de méconnaissance?!
Est-ce que l’accompagnement d’un psy relève du soutien? Cela semble bien réducteur.
Le choix du nom du dispositif en dit déjà long. Il a changé plusieurs fois : MonPsySanté, puis MonPsy, puis encore MonParcoursPsy, pour finir à ce jour par être MonSoutienPsy…
HISTOIRE DU DISPOSITIF
Il faut se souvenir des expérimentations menées dès 2018 dans quelques départements français (d’abord auprès des 11-21 ans, puis des 18-60 ans). Les comités de pilotage de ces expérimentations étaient composés de médecins généralistes, psychiatres, syndicats de médecins et de psychiatres, conseil de l’ordre des médecins, etc., et devait y siéger un représentant des psychologues. Le « guide pratique à destination des psychologues cliniciens et psychothérapeutes » est édité à la suite de ces expérimentations. On y trouve une procédure composée d’allers-retours entre le médecin « expert »et le psychologue, totalement hors-sol, sous un contrôle médical tout puissant, bafouant la confidentialité et l’autonomie du psychologue. La démarche est médico-centrée et ne s’en cache pas.
Lors de la clôture des Assises de la santé mentale en septembre 2021, Emmanuel Macron annonce la généralisation du dispositif. Celui-ci est effectif à compter d’avril 2022, alors que la profession se soulève. Le psychologue se retrouve praticien des petites souffrances, auxiliaire psychologique non spécialisée, sous contrôle, avec prescription médicale indispensable, 8 séances par an et 30 euros la séance (sans dépassement d’honoraires possible). Le praticien doit faire passer des questionnaires au patient, où il s’agit de répondre sur des échelles.
Par exemple, à la question « avez-vous une mauvaise opinion de vous-même ou avez-vous le sentiment d’être nul ou d’avoir déçu votre famille ou vous -même », il s’agit de répondre entre « 0 pas du tout » et « 3 presque tous les jours ». Nous ne sommes pas loin des questionnaires que l’on peut trouver dans des magazines grand public!
L’autonomie du psychologue est piétinée, et avec elle le sens même, l’essence même, du soin psychique.
Le montage financier du gouvernement implique que les mutuelles prennent en charge 40% du coût des séances. Les mutuelles qui remboursaient déjà des consultations (de façon respectueuse tant pour le patient que pour le psychologue) se retrouvent piégées et se désengagent de ces remboursements.
L’ACCÈS AU PSY
L’argument selon lequel tout ceci permettrait au plus grand nombre d’accéder à un accompagnement psychologique n’est pas tenable. En effet, les dispositifs existent déjà. On peut évoquer le nombre de postes de psychologues (payés misérablement) dans la fonction publique qui ne cesse de diminuer. Le budget alloué au dispositif de 170 millions d’euros permettrait de créer 4000 postes de psychologues. Nous sommes face au démantèlement des services de soins publics ou privés habilités. Ce dispositif illustre pleinement la politique de libéralisation et de privatisation du soin. Les professionnels de la santé mentale (y compris les psychiatres) le dénoncent depuis des années, ceci n’est pas une découverte.
On trouve également des critères d’inclusion et d’exclusion vagues voire nébuleux (exemple : « souffrances psychiques d’intensité légères à modérées »). Un point central dans le dispositif mais qui, sur le terrain, est quasiment totalement mis de côté. Peu regarde ces critères, de même que beaucoup cumulent deux séances le même jour pour pouvoir s’en sortir financièrement. Bref, les règles sont contournées, et ça ne questionne pas grand monde. Plutôt que de ne pas y adhérer, le choix de les esquiver est privilégié. C’est une réalité de terrain, inutile de faire comme si ça n’existait pas. Mais tout le monde s’y retrouve : les psychologues conventionnés arrivent à s’en sortir financièrement, à remplir leurs cabinets pour certains (conventionnement possible dès 3 ans de pratique) et le gouvernement se rapproche de ses objectifs en termes de chiffres (nombre de psy conventionnés, nombre de séances réalisées, etc).
Comment quantifier la souffrance?
PSYCHOLOGIE ET MÉDECINE
La définition de l’OMS de la santé mentale est « un état de bien-être qui permet à chacun d’affronter les sources de stress de la vie, de réaliser son potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté », « de multiples déterminants individuels, sociaux et structurels peuvent se combiner pour protéger et compromettre la santé mentale ». Il n’est aucunement question de paramédicalisation ou de psychiatrisation de la notion de santé mentale.
La posture du psychologue est bien différente de celle des professionnels de santé sur un point central : le renversement de la position d’expert. L’expert est le patient. Lui seul connait son état, sa souffrance.
Ceux qui me connaissent savent que ma phrase « mantra », fétiche, ou on l’appellera comme on voudra, en tout cas la phrase qui symbolise toute la posture que je tâche d’habiter en tant que psychologue :
« Éclairer la route sans tracer le chemin ».